De l'expressionnisme religieux chez les vampires mexicains
Article du Monde
A la fin des années 1950, le cinéma britannique allait donner une nouvelle existence au vampire, notamment grâce aux productions de Hammer Films. Créature issue d'un fantastique gothique et romantique qui connut un premier âge d'or à Hollywood dans les années 1930, elle avait sombré dans l'enfer de la parodie et de la série Z, parfois involontairement burlesque.
Les Anglais allaient la ressusciter dans des films en couleurs signés Terence Fisher, Don Sharp ou Freddie Francis. La vision du vampire y est d'un calvinisme austère et rigide. Le buveur de sang est décrit comme la force brute de la sexualité irrépressible qui met en danger l'ordre social victorien.
A peu près au même moment, au coeur d'une cinématographie riche en genres populaires et pourtant encore méconnue, le vampire allait connaître une autre renaissance, selon pourtant les principes d'une conception totalement opposée. La société Bach Film vient de sortir une série d'oeuvres fantastiques mexicaines à petits prix, et notamment trois films de vampires qui témoignent d'une lecture fort différente du mythe.
"OMBRE CONTRE LUMIÈRE"
Les Proies du vampire (1957), Le Retour du vampire (1957), de Fernando Mendès, ainsi que Le Monde des vampires, d'Alfonso Corona Blake (1960), forment une trilogie à la beauté poétique et plastique indéniable. Produit par Abel Salazar, qui incarne dans les deux premiers titres un jeune premier un peu pataud, les films utilisent l'imagerie d'un catholicisme exubérant. Le noir et blanc est utilisé à des fins expressionnistes, où l'ombre combat la lumière, le Bien s'oppose au Mal dans une lutte délibérément manichéenne.
Le vampirisme y est vu comme une expression possible du purgatoire. D'étonnantes visions se succèdent, marquées par un goût intense pour la mortification et le dolorisme. Une vieille femme émaciée portant un grand crucifix, qui semble tout droit sortie de l'univers d'un Léon Bloy, représente, dans Les Proies du vampire, le Bien opposé aux menées d'un vampire élégant, au haussement de sourcils aristocratique, incarné par l'acteur German Roblès - qui reprendra le rôle dans Le Retour du vampire. Dans Le Monde des vampires, un malheureux attaché, littéralement criblé de morsures sanglantes, est l'image grimaçante d'un crucifié sublime.
En dépassant la candeur et la naïveté inhérentes à ce type de production, on trouve vite une dimension poétique inédite, le mariage de l'extase et de la répression qui est au coeur même de la signification mythologique et de la représentation cinématographique du personnage du vampire.
Les Proies du vampire, Le Retour du vampire, Le Monde des vampires. 3 DVD Bach Films. Collection "Les films cultes du cinéma mexicain".