Le 22 septembre 2005 par Serge ScottoInterview : Misha DefonsecaIl existe certaines personnes à qui, même soixante ans après et l’Europe unie, il vaut mieux ne pas trop demander d’aimer les Allemands. Voire l’humanité dans son ensemble. Misha Defonseca est de celles-là et je la comprends, moi qui suis aussi un peu misanthrope et préfère souvent la compagnie de mon chien Saucisse à celle de bien des hommes. Dans son livre "Survivre avec les loups", Misha revient bien sûr sur la Guerre, mais c’est sa propre histoire plus que la grande Histoire qui vaut ici la peine d’être approfondie.Sa rencontre avec les loups, qui sauvèrent la petite fille juive des fauves à deux pattes lâchés par hordes barbares dans les steppes de l’est, donnant ainsi un nouveau sens à sa jeune vie. Prenez avec moi la piste sanglante, et sur ses traces rejoignons la vieille dame qu’elle est devenue aujourd’hui, toujours farouche et droite comme elle écrit !
1- Les loups vous manquent encore ?Oui, les loups me manquent, ainsi que toute une vie sauvage et grandiose, dans la nature et loin de la fureur des hommes.
2- Une maxime prétend "L’homme est un loup pour l’homme." ; ça vous inspire quoi ?Ca ne m’inspire rien du tout. L’homme est un homme et le loup est un loup Je déteste les analogies que l’homme fait avec des animaux, comme manger comme un cochon ; Je connais bien des humains qui bien qu’ils aient 2 mains se débrouillent moins bien que l’animal, quant a être un loup pour l’homme, non, l’homme est un homme pour l’homme, c’est-à-dire qu’il peut être un criminel, un voleur, un menteur, un sadique pour sa propre espèce, rien a voir avec le loup.
3- Vous préférez définitivement les animaux aux hommes ? Est-ce que les enfants font exception à vos yeux ? Les enfants sont les petits des hommes. Définitivement, je préfère les animaux aux humains, et les enfants ne font pas exception ; un enfant peut être extrêmement cruel tout comme l’adulte, tant qu’ils n’ont pas souffert, ils restent cruel, c’est dans les gènes, mais comme toujours, a toute règle il y a des exceptions.
4- Je crois que vous aviez un rapport à vos enfants très protecteur, comme une maman loup ?J’ai eu avec mon enfant un rapport protecteur comme une louve vis a vis de son petit et comme tout autre animal vis-à-vis de ses petits ; je détestais qu’on y touche, cette stupide habitude que les adultes ont de prendre dans leur bras les enfants des autres ; d’abord on lui fout un tas de microbes en faisant cela, et moi, les rares fois que ça m’est arrive, je lavais de suite mon fils après.
5- Vous vivez où aujourd’hui ?Je vis aux USA, j’ai cru mettre de la distance entre ce que j’avais vécu, mais je me suis trompé, le passé vous rattrape toujours, j’avais une belle maison et un sanctuaire pour animaux sauvages ; les vétérinaires du coin me confiaient des animaux sauvages à rééduquer a la vie sauvage, mais la malhonnêteté d’une américaine m’a fait perdre ma maison et le sanctuaire, et j’ai été 2 ans « homeless ». J’ai été en procès, 7 ans, c’était un cauchemar, mais j’ai gagné et reçu mes droits en retour. Ainsi, doucement je remonte sur mon cheval, je vis loin des villes, dans ma petite maison, pas assez grande pour avoir autant d’animaux que je voudrais, je vis dans ce qu’on appelle la dernière vallée verte, c’est tout dire.
6- Vous avez des animaux ?Je ne pourrais vivre sans animaux, les miens sont tous des recueillis, j’ai 23 chats, 2 chiens, 1 poisson, 2 crabes, mais j’en voudrais plus de sauvages, loups, ours, lynx etc.
7- J’ai cru comprendre que la médiatisation, ça vous gonfle parfois un peu ?J’ai accepté, en écrivant être une personne publique et grâce aux médias mon livre se vend bien, j’aurais donc mauvaise foi a dire que ça me gonfle, comme vous dites ; ce que je trouve déplorable ce sont des gens qui se balancent spécialistes de ceci ou de cela, qui n’ont pas vécu la guerre et qui jugent, ou ceux qui n’aiment pas les animaux, et disent c’est impossible, bien sur pour eux, ca l’est et le restera, mais ce n’est pas mon problème et il faut laisser pisser le mouton.
8- La particularité de votre destin est d’avoir traversé l’horreur de la guerre dans sa marge, en fait...Je ne souhaite à personne de connaître la guerre, en marge ou pas, les guerres n’apportent que le malheur et la désolation, elles permettent à l’homme de s’offrir le plus mauvais de lui-même et de rester impuni ; tuer, violer, voler et rentrer chez lui comme un héros.
Moi j’ai été précipitée la dedans, sans l’avoir voulu, sans l’avoir cherché, et j’en ai conclu que ce sont toujours les innocents, les animaux et la nature qui paient pour la folie meurtrière de l’homme. Ils ont tellement d’autres soucis, ces fous, qu’un enfant est le moindre de leurs soucis et que j’ai eu la facilité de passer le plus souvent inaperçu, mais je ne peux oublier l’énorme différence entre l’accueil des animaux et l’indifférence des humains ; entre l’acceptation des animaux et le rejet des humains ; les animaux savent ou trouver de l’eau et le loup est un éducateur hors pair ; survivre seul est plus facile qu’en groupe.
J’ai construit ma force morale et physique grâce aux loups ; je vois les humains comme un animal les voit, je ne me sens pas de leur race.
9- De tout ce passé, votre pire souvenir ?Il n’y a pas qu’un seul pire souvenir, la guerre est faite d’une succession d’horreurs, le viol d’une gamine, les enfants tombant dans une fosse, la mort de ma louve, les bombardements, il y a mille et un pire souvenirs qui vous blessent l’esprit et restent dans la tête à vous ronger la cervelle.
10- Et le souvenir qui, au contraire, vous procure le plus de chaleur ?Le souvenir qui me procure le plus de chaleur est d’avoir eu la chance de vivre avec une meute de loups et de mignons petits jeunes, c’est la parenthèse d’amour qui m’a permis de rester saine, même aujourd’hui lorsque je me sens stressée, seul un animal et la nature ont le pouvoir de recharger mes batteries, de me calmer, avec cette volonté de vivre. Et bien sur, ma louve-mère, cette protectrice a nulle autre pareille.
11- Avez-vous pu à peu près reconstituer le parcours de votre errance ?Oui, à peu près, comme il est dans le livre, bout à bout en me rappelant certains endroits, certains noms, ce n’est pas un parcours en ligne droite, c’est une approximation.
12- Comment avez-vous renoué avec la vie "normale" ?D’abord, qu’est-ce que la vie normale ? Moi, je me trouve très normale, je vis isolée avec mes animaux, qui sont mes enfants, et mon mari. Personne ne vient chez nous, les voisins je ne les connais pas, mais quand on se croise, rarement, on dit bonjour. Je lis beaucoup, je jardine, j’écris, je nourris des centaines d’oiseaux ; s’occuper d’animaux est un travail plein temps, je ne pars plus en vacances depuis 20 ans et ça ne me dérange pas ; tous les pays sont beaux, seul les gens font la différence. La France a mon cour, c’est ma langue et ma culture. Chaque fois que j’y viens, je suis heureuse, on y mange bien à tous les coins de rue, c’est sympa, les gens sourient encore. Quand je sors, alors je me fringue et me maquille, c’est show time, c’est amusant, ensuite je reviens dans mon cocon, je vis simplement avec de petits bonheurs chaque jour. J’ai la folie des vêtements, des chaussures, des bijoux africains, indiens - énormes ! Les diamants ne me tentent pas d’ailleurs, ce n’est qu’un morceau de charbon, mais la création des bijoux indiens c’est autre chose pour moi. Pourquoi ai-je cette folie ? Parce que j’ai manqué de tout, c’est une façon de me sécuriser, quand aux chaussures, moi qui ai traîné mes pieds en sang dans des loques, c’est la possession suprême, je regarde en hiver la neige tomber et je repense au passé, mais je me dis cette fois quand tu sortiras tu auras de bonnes bottes fourrées aux pieds !
13- Quelle question ai-je oublié de poser ? Afin que vous y répondiez, bien sûr...Plusieurs..
Je ne ferai jamais confiance a une personne qui n’aime pas les animaux, ou a quelqu’un qui a peur ; parce que quand les gens ont peur d’un animal, ils le tuent, ne cherchent pas a comprendre leur comportement ; et quand ils ont peur d’un livre ils le brûlent, on l’a vu en Allemagne, et après avoir brûlés les livres, on brûle les gens.
Est-ce que je suis prudente ? Oui, très, j’ai trop de respect pour la vie, toute ma vie j’ai anticipé pour pouvoir survivre, oui, je suis prudente.
Est-ce que j’aime la vie ? Au delà de la mort même ; je ne bois pas et ne fume pas, mais un bon verre de vin, oui, du rouge doux et sucré, vous allez hurlez je suis sur ; je n’aime pas le bruit, ni les musiques tonitruantes, je n’aime pas les feux d’artifices, ça fait peur aux bêtes et dérange les oiseaux ; je n’aime pas les pesticides, ni qu’on coupe un arbre, j’aime le calme, la mer, l’océan, la foret, le silence, la solitude je l’ai apprivoisée jadis, elle me tient compagnie des journées entières, mais en fait on est jamais seul avec des animaux. J’aime ce qui est naturel, vrais, profond, une conversation avec quelqu’un d’ouvert et de bon est toujours enrichissante. J’ai été touchée par le chien saucisse, ce petit corps qui a souffert, son regard qui en dit long, et je suis contente de savoir qu’il est avec un compagnon qui l’aime. La vie est faite de petits bonheurs simples, un bisou à une petite patte qui sort d’un panier, la tête d’un chien qui s’endort sur vos genoux, la vie est à ceux qui la respectent.
Est-ce que je me sens en sécurité dans la vie actuelle ?Non, pas du tout, je ne pourrais plus fuir comme ce fut le cas jadis, car je n’abandonnerais pas mes animaux, mais je suis prête à affronter. Est-ce que j’ai confiance dans l’humanité ? Non, et puis ce sont les hommes eux même qui se sont donnés ce nom d’humain ; quelle belle différence n’est ce pas, les humains et puis les animaux. Oh, celui la, c’est un animal ! Avec ce goût de péjoratif, non c’est un homme ! Et j’ai attrapé moins de maladies en caressant ou embrassant mon chien qu’en serrant la main "d’humains", mais malgré tout, quand je rencontre un humain qui mérite ce nom, je suis vraiment contente, ça me fait espérer.
Quel est le mot que je n’accepte pas ? Impossible ! Impossible, c’est ce qu’on n’a pas encore tenté de faire, il y a longtemps, personne ne croyait atteindre la lune, c’était impossible, et aujourd’hui ! Ne jamais dire impossible, car on pourrait être réveillé par le bruit que fait quelqu’un d’autre en réalisent ce qu’on disait impossible.
Est-ce que je crois ? Du moins, suis-je croyante ?Je crois au pouvoir de la bonté, au pouvoir de la tolérance, au pouvoir d’une main tendue, au pouvoir de la nature, en tout ce qui est beau, honnête, simple, gai et les yeux qui ne trompent pas. La religion, les fanatiques, c’est autre chose. L’homme s’est dit être a l’image de Dieu, évidemment, c’est plus grandiose dans son esprit que d’être a l’image du singe, et pourtant ! L’homme se dit supérieur parce que Dieu lui a donné la parole !
Mais il s’en sert comment ?Ils ne savent pas mieux se faire comprendre. Les animaux, eux n’ont pas besoin de la parole pour se faire comprendre, leur est ils jamais venu a l’idée, ces humains, que "Dieu" leur a donné la parole parce qu’ils étaient trop cons pour se faire comprendre ?
Et encore, qu’en est-il résulté ?