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| La légende du loup vert de Jumiège (France) | |
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Lysisca Grande Louve
Nombre de messages : 5067 Age : 40 Localisation : Bonne question...Où suis-je? Famille : Date d'inscription : 21/04/2005
| Sujet: La légende du loup vert de Jumiège (France) Ven 11 Mai 2007, 21:12 | |
| A Jumièges la confrérie du Loup Vert fêta la Saint Jean jusqu'en 1921. Perpétuant peut-être un rite païen, elle s'inspirait d'une légende : un âne, chargé de porter le linge des moines de Jumièges aux nonnes de Pavilly, fut un jour dévoré par un loup. Mais celui-ci fut charmé par sainte Austreberte, si bien qu'il reprit docilement la tâche de sa victime. Curieusement, ce mythe et ce rite furent exportés en Picardie.
Mais d'abord, qui est cette Austreberte qui inspira fêtes et confréries du Loup Vert? La voici vue par un moine de Saint-Saulve de Montreuil, peu de temps après sa mort : Son père, Badefrid, était conte du palais à la cour de Dagobert Ier. Il avait épousé une princesse allemande: Framechilde. Celle-ci allait accoucher quand un ange lui apparut et lui suggéra d'appeler sa fille Austreberte. Un nom après tout qui signifie brillante, illustre. A sa naissance, sa chambre fut inondée de clarté et d'une odeur de sainteté. Cela se passait en 630, à Marconne. Après avoir vu – d’après un signe du Saint-Esprit – qu’elle serait appelée à la vie religieuse, Austreberte accomplit son premier miracle en fuyant un mariage arrangé par son père : elle passe la rivière en crue en marchant sur l’eau, elle et tous ceux qui l’accompagnent dans sa fuite.
Austreberte entre finalement au monastère de Port-le-Grand, sur la Somme. Un jour qu'elle cuit du pain au four, elle entreprend d'ôter quelques braises inutiles. Son balai s'enflamme avec une telle violence que la ration quotidienne de la communauté est en péril. Placide, Autreberte calme les religieuses affolées, se signe, puis, entrant dans le four embrasé, elle le nettoie de ses manches sans que le feu ne l'affecte, ni sa peau, ni même ses habits. Vers 660, un seigneur de Normandie fit construire dans les environs de Jumièges une abbaye pour sa fille et 25 religieuses. Austreberte devint abbesse de cette communauté. Là, elle accomplit encore quelques miracles (à son encontre). Elle quitta cependant cette abbaye pour s'établir à Pavilly, vers 662. Une fois de plus, elle sauve ses sœurs – d’un tremblement de terre cette fois-ci – et ressuscite même l’une d’elles. Quand saint Philibert eut quelques ennuis avec ses pairs, on l'accusa de relations coupables avec l'abbesse. C'est elle qui, en tout cas, insista alors auprès de l’évêque de saint Ouen pour que Philibert retrouve l'abbaye de Jumièges au terme d'un exil. Dans cet épisode, certains auteurs glissent que Philibert, dès lors, ne supporta plus d'autres linges d'autel "qu'il n'eust été lavé par ses bonnes religieuses". Nous y reviendrons bientôt.
Et puis le temps passa. A la Purification de 704, Austreberte rêvait quand elle apprit d'un ange qu'elle mourrait huit jours plus tard. Le matin du dimanche 10 février 704, elle mourut. Elle avait 74 ans. Austreberte allait rester patronne des lavandières, des impotents et des captifs. Fêtée le 10 février, elle accompagnera la fécondité féminine qui débute le 1er avec la Sainte Brigitte et se termine le 14 avec la Saint Valentin, patron de Jumièges. Elle accompagnera aussi la verdeur de la terre jusqu'aux premiers feux de l'été.
Défunte, Austreberte continua à opérer des miracles par l'entremise de ses servantes. Quand aux reliques de sainte Austreberte, du moins ce qu'il en restait, elles prirent très vite le chemin de Rouen. Mais il continua à s'opérer des miracles à Pavilly. La rivière qui va de Pavilly à Duclair, l'Esne, prendra le nom d'Austreberte. Bien entendu, sa source passe pour être miraculeuse.
Quand, peu après, les vikings ravagèrent l'abbaye de Pavilly, les religieuses gagnèrent le monastère fondé par Austreberte à Marconne. C'est là que Julienne, l’abbesse, fit écrire la vie de la sainte. En fuyant la Normandie, la communauté emportait peut-être une partie des saintes reliques. Elle emportait en tout cas l'étrange cérémonie du loup vert. Ce qui témoigne de son ancienneté.
En 835, les disciples d'Austreberte, venues un bon siècle plus tôt à Marconne, souffrirent encore des vikings. Nos nonnes vinrent alors se mettre sous la protection de Helgaud, comte de la ville fortifiée de Montreuil. L'abbaye de Marconne ayant été détruite, on établit à Montreuil un monastère en l'honneur de la sainte. Vers l'an Mil, elle fut érigée en abbaye royale. Elle devint vite l'une des plus puissantes du Ponthieu. Elle était située rue du "Ver montant". A Montreuil, Sainte-Austreberte garde pour emblème une tête de loup. Datée de 1477, une miniature du cueilloir de l'hôtel-Dieu, propriété de nos jours du centre hospitalier de l'arrondissement, est visible au musée Rodière de la ville. Une tête de loup... Ce que n'écrivit pas le rédacteur de la vie d'Austreberte, c'est que devenues toutes des anges à l'apparence humaine, les religieuses de Pavilly eurent pour tâche de laver le linge des moines de Jumièges. Dans la rivière qui porte aujourd'hui le nom de la sainte. Austreberte, forte de ses pouvoirs, avait dressé un âne, flanqué de deux paniers, pour assurer la navette entre les deux abbayes. Un jour, dans la forêt, au niveau de Yainville, un loup se jeta sur l'animal pour le dévorer. Inquiétée par le retard de la bête, Austreberte découvrit les restes de son fidèle aliboron, le linge tâché de sang. Elle comprit. Appelant le prédateur qui accourût, envoûté, domestiqué, elle l'obligea à remplacer le pauvre grison. Ce dont il s'acquitta docilement jusqu'à la fin de ses jours.
Une autre version nous dit que ce fut Philibert, lui-même, qui vint punir le prédateur et le condamna de surcroît à ne plus se nourrir que de végétaux. Bref, il en fit un loup vert!
Ce n'est qu'à partir du XIIIe siècle que ce miracle est bien présent dans le patrimoine de Jumièges. Patrimoine livresque et lapidaire. A l'abbaye, trois sculptures évoquent l'âne et le loup, tantôt auprès de Philibert, tantôt d'Austreberte. Une statue subsiste à l'église Sainte-Austreberte de Pavilly où la scène était peinte jadis sur le petit autel. Statue encore à l'église de Gerponville. A Tournus, où repose Philibert, un bas-relief représente le loup et l'âne. Est-ce allusion directe à la légende ou à la victoire du saint sur Ebroïn, félon maire du palais, surnommé le loup furieux?
Maintenant, certains indices laissent à penser que la légende est bien antérieure au XIIIe siècle. Car il est dit dans certaines chroniques que, sur le lieu supposé du drame, on éleva au début du VIIIe siècle une chapelle dédiée à saint Austreberte. Soit peu de temps après sa mort. Elle aurait été détruite par les vikings. Alors on planta une croix connue dans le pays sous le nom de Croix-l'âne et qui traversa les siècles. La croix disparue à son tour, un chêne voisin fit l'affaire dans lequel on ficha quelques statuettes. Ce sanctuaire est toujours visible aujourd'hui. Quant au loup, nous dit la tradition populaire, il possède foule de descendants parmi la gent canine de la péninsule gémétique.
Peut-être la cérémonie du Loup Vert, le 23 juin, puise-t-elle ses origines dans les rites païens. On prêtait peut-être au loup, comme à l’Homme Vert, des pouvoirs fécondateurs sur la nature. Sans passer pour une divinité, il personnifiait plutôt l'âme de végétation. Alors, ce loup était vert. La Saint-Jean fut établie au IVe siècle par l'Église pour christianiser des coutumes préexistantes - la fête de Beltaine des celtes. Saint-Jean qui passe souvent pour guérir la peur du loup... Canteleu, le Chêne-à-leu, ces noms de lieu témoignent de la présence du loup dans la région de Jumièges. Sa domestication par Philibert ou Austreberte veut-elle marquer la suprématie de la religion sur les antiques croyances? On pourrait avancer une tentative d'explication plus prosaïque. Entre 673 et 675, la portion de forêt comprise entre le lieu de la légende et l'église Saint-Denis fut attribuée à l'abbaye de Saint-Wandrille. Or, c'était précisément le chemin qui menait au couvent de sainte Austreberthe. Immédiatement, Philibert porta l'affaire en justice. L'abbé Lantbert, perçu comme un prédateur, entravait ainsi la liberté de circulation entre l'abbaye de Jumièges et celle de Pavilly. Saint Ouen finit par trancher en 676 en accordant le bois litigieux à l'église Saint-Denis. Et la route fut à nouveau assurée aux relations entre Philibert et Austreberte. Notre légende, après tout, aurait pu puiser sa source dans cet épisode judiciaire en le symbolisant. Amiens a eu son "homme vert" dit encore "compagnon du loup vert" jusqu'en 1727. Le bedeau de l'église Saint-Firmin-du-Castillon venait assister à l'Épiphanie et à l'office du 13 janvier, couvert de feuillage, et tenant à la main un cierge fleuri. Sur la place de l'Hôtel de ville, non loin de l'église, la foule se précipitait à sa rencontre pour lui arracher une feuille en guise de porte bonheur.
La cérémonie du Loup vert se déroula, pense-t-on, à Marconne, mais essentiellement à Montreuil. Depuis au moins la fondation de l'abbaye, en l'an mil, une confrérie du Ver Montant s'élisait chaque année un président qu'elle baptisait le Loup. Cette confrérie étaient attachée à une chapelle dédiée à saint Jean. Aussi, la veille de la fête du saint, le 23 juin, le président revêtait une large houppelande verte et se coiffait d'une tête de loup aux yeux rouges et à la gueule ensanglantée. Portant une charge de linge, le loup partait des bords de la Canche à la tête de ses confrères et remontait la rue du "Ver-Montant" en chantant l'hymne à saint Jean. L'abbesse et l'aumônier apparaissaient alors sur le seuil de l'église abbatiale et bénissaient le Loup ainsi que sa troupe. Au chant des psaumes, ils le conduisaient alors jusqu'à l'autel tandis que les assistants imitaient les hurlements du loup tout en décrivant mille extravagances. Après l'office, un repas maigre réunissait tous les confrères. Portant croix et bannière, le clergé sortait de l'église pour bénir le bûcher de la Saint Jean, allumé au son des clochettes du Loup par un jeune homme et une jeune fille parés de fleurs. Le bûcher était rangé autour d'un mât que couronnait une enseigne représentant les armoiries de la ville. Puis le clergé s'en retournait au chant du Te Deum. Le Loup et ses confrères, parodiant l'Ut queant laxis, se tenant tous par la main, poursuivaient autour du feu celui qu'ils avaient désigné pour être le loup de l'année suivante. Une fois pris, on feignait de le jeter aux flammes. Le peuple dansait une partie de la nuit, s'adonnait à la débauche autour du brasier et emportait des charbons éteints pour les conserver religieusement toute l'année. C'était un préservatif assuré contre les maladies et les misères de la vie... Le lendemain, à la suite d'un nouveau repas maigre durant lequel, jusqu'au dessert, toute parole licencieuse était passible d'un pater noster à réciter debout, la fête se poursuivait. La confrérie, dont plusieurs membres portaient un énorme pain béni orné de rubans et de verdure, se rendait à nouveau à l'église Sainte-Austreberte. Les mêmes bouffonneries recommençaient. Après quoi, les clochettes, déposées sur les marches de l'autel, étaient confiées comme insignes de dignité au nouveau loup. On sait, en 1435, la part que prenaient les maires et échevins de la ville de Montreuil à ces manifestations.
Dans la région de Montreuil, il s'est trouvé des érudits pour penser que Loup Vert vient en fait de Loup Ver, l'autre nom du loup garou. Ver, en suédois par exemple, ne signifie pas autre chose que l'homme. Or, les compagnons bâtisseurs, organisés en confréries, avaient pour habitude de s'appeler entre eux loups. C'était le cas des enfants de Salomon. Ceux de Maître Jacques, les compagnons du Devoir, se nommaient quant à eux loups garous. Alors, on s'est permis de penser que la cérémonie de Montreuil constituait en fait l'élection du roi de la confrérie des tailleurs de pierre. Le "ver montant" est le nouvel élu, le "ver descendant" l'ancien... Comme beaucoup de fêtes de ce type, celle du Ver Montant dégénéra. En 1478, le vertueux Dom Lobain, abbé de Saint-Saulve, crut devoir intenter un procès à la confrérie pour immoralité. Avec les mystères, la cérémonie fut frappée d'interdit par la Réforme et les sévères règlements du concile de Trente. Elle tomba définitivement en désuétude au milieu du XVIe siècle. Celle du Jumièges lui survécut trois siècles...
Dernière édition par Lysisca le Mer 04 Jan 2012, 13:32, édité 1 fois | |
| | | Lysisca Grande Louve
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| Sujet: Re: La légende du loup vert de Jumiège (France) Ven 11 Mai 2007, 21:12 | |
| Officiellement, la confrérie du Loup Vert de Jumièges fut établie par l'archevêque, Jean de Vienne, en 1350. Mais le rite existait peut-être avant cette date. On cite la fin du Xe siècle. Chaque 23 juin, la confrérie de Saint-Jean Baptiste, vêtue de chaperons, avait pour habitude de se rendre au Conihout chez celui qui avait été élu l'année précédente. Le Loup Vert! L'homme était nécessairement un habitant de ce hameau. Mais il n'était pas forcément membre de la confrérie qui avait son grand maître. Le vieux Loup revêtait son costume de cérémonie. Une longue robe verte lui tombant jusqu'aux talons, agrémentée de rubans, un haut bonnet pointu sans rebords, couronné d'un pompon. En début d'après-midi, il se mettait en tête d'un cortège, encadré de croix et bannières, flanqué d'un jeune garçon en surplis agitant deux clochettes. Ce pouvait être aussi le Loup lui-même qui agitait en cadence ces grelots. De premières salves de mousqueterie et des jets de pétards annonçaient la mise en route du Loup. En chantant l'hymne de saint Jean, l'Ut queant laxis, les frères empruntaient le chemin qui mène à la place du Chouquet, au pied de l'abbaye, qui jadis était le lieu du gibet. Une seconde salve salue l'arrivée du Loup. Si le cortège parvenait ici avant le curé, alors, on se devait d'attendre. Averti par la pétarade, le clergé arrive. Après une nouvelle salve, l'abbé mène cette bruyante procession à l'église Saint Valentin pour les vêpres. Le bourg est traversé au chant de l'hymne de saint Jean. "Ut queant laxis... Resonare libris... Mira gestorum... Famuli tuorum... Solve polluti... Labii reatum... Sancte Joannes... " Les vêpres dites, clergé en tête, on s'en retourne chez Messire Loup où la confrérie soupe maigre. Ce qui laisse entendre que la cérémonie remonte au temps où l'on s'abstenait encore de viande le jour de la vigile de saint Jean. Alors que la nuit tombait, le curé s'apprêtait à bénir le bûcher. Parés de rubans et de bouquets, un jeune garçon et une jeune fille embrasaient les fagots. Sortis de la maison au son des clochettes avec croix et bannières, les frères chantaient le Te Deum autour du feu, un grand concours de peuple à leur suite. En patois normand, quelqu'un entonnait ensuite une parodie de l'Ut Queant laxis. Il fallait maintenant élire le nouveau Loup. Celui qui était désigné par avance s'emparait d'une longue baguette. S'il était trop âgé, un homme plus jeune pouvait se substituer à lui dans la drôle de poursuite qui commençait. Le Loup en titre et dix autres frères formaient une colonne en se tenant par la main, chaperon sur l'épaule, à la queue leu-leu. Sans rompre cette file, il fallait par trois fois saisir et envelopper le futur loup. Bien entendu, seuls le frère de tête ou le frère de queue pouvaient attraper l'homme de leur main libre. Il y avait foule autour du feu. Alors, celui qui tenait la baguette en profitait pour une belle partie de cache-cache. Il surgissait pour frapper vigoureusement les frères sur les épaules. Comme on n'arrivait pas à saisir le joyeux drille, on finissait pas parlementer et l'on faisait semblant de le jeter au feu après l'avoir porté en triomphe. Il est arrivé que la cérémonie revête une forme plus simple. Le loup, en tête de file, devait simplement frapper de la baguette le dernier de la queue. Alors, on entonne la ronde de la Saint Jean: « Voici la Saint Jean / L'heureuse journée / Que nos amoureux / Vont à l'assemblaye / Marchons, joli cœur / La Lune est levée / Que nos amoureux / Vont à l'assemblaye / Le mien y sera / J'en suis assurée/ Marchons, joli cœur / La Lune est levée / Le mien y sera / J'en suis assurée/ Il m'a apporté / Ceinture dorée / Marchons joli cœur / La lune est levée / Il m'a apporté / Ceinture dorée / Je voudrais ma foi / Qu'elle fut brûlée / Marchons, joli cœur / La lune est levée / Je voudrais ma foi / Qu'elle fut brûlée / Et moi dans mon lit / Avec lui couchée / Marchons joli cœur / La lune est levée / Et moi dans mon lit / Avec lui couchée / De l'attendre ici / Je suis ennuyée / Marchons joli cœur / La lune est levée... »
Nos érudits du XIXe pensaient que cette ronde, ainsi que d'autres chants malheureusement inédits, était spécifique à Jumièges. Mais par le plus pur des hasard, j'en ai retrouvé une variante en Vendée où elle se chantait à trois temps avec un si bémol à la clef. Les paroles diffèrent quelque peu : « Voici la Saint Jean / La belle journée / Où les amoureux / Vont à l'assemblée/ Le mien n'y s'ra pas / J'en suis assurée / Il est dans les champs / Là-bas à la mée / La figure au vent / Chev'lure dépeignée / L'mien est à Paris / Chercher ma livrée / Que t'apport'ra-t-il / Mignonn' tant aimée / Il doit m'apporter / Une ceinture dorée / Un anneau d'argent / Et sa foi jurée. »
J'ai appris par la suite que cette ronde était en fait très répandue, jusqu'au Canada. On la chantait notamment en Provence. Elle comportait ce couplet supplémentaire: "et puis le bouquet pour sa fiancée". Mais son origine serait Engelberg, en Suisse...
La ronde de Saint Jean chantée, accompagnée du clergé, la confrérie rentrait dans la maison pour manger maigre une nouvelle fois. Une partie des villageois se dispersait. La jeunesse, elle, restait danser autour du feu. Les plus supersititieux attendaient que le brasier fut presque consommé pour s'emparer de quelques braises qu'ils ramenaient chez eux pour se prémunir de la foudre et des maladies. Cette nuit-là, à Jumièges, était aussi celle où l'on s'emparait d'une poignée de seigle dans le champ du voisin. Tressée, passée autour du ventre d'un animal souffrant, elle assurait sa guérison. Il arrivait aussi que des femmes, attendant le douzième coup de minuit, s'en aillent se rouler nues dans le champ pour se préserver des maux de ventre. Il y avait à l'église Saint Valentin une ancienne statue d'un saint Jean rebaptisé saint Vimer, expert à guérir les douleurs abdominales.
A table, les frères ne mangent que des légumes. Souvenir du loup privé de viande ? Il est interdit de tenir des propos inconvenants. Le Loup a les clochettes à portée de main pour mettre à l'amende le contrevenant. Il doit alors, tête nue, réciter le pater noster. Sur la tables voisine dînent les invités du Loup. Dehors, on danse. A minuit tous les convives chantent encore chapeau bas un dernier hymne religieux. L'Ut queant, "Pain bénit"... Cette fois, il est alors permis de tout dire...
Le lendemain, une nouvelle procession se rend au Chouquet. En tête, un frère tient la croix dont le bâton est peint de vert. Le second porte la bannière montée sur velours vert et représentant saint Jean enfant, un agneau aux pieds, une croix ornée d'une bandelette prophétique à la main. Le Loup, marche au milieu du cortège dans l'attitude du pénitent. Place du Chouquet, on retrouve là un pain bénit à trois étages surmonté de bouquets ou d'une grande asperge ornée de rubans. Nous sommes à la fin de la récolte. Le pain béni est porté sur un brancard par deux frères. Procession jusqu'à l'église. Grand-messe. Le Loup, paré de son costume, effectue la quête. Puis il dépose ses clochettes, son bonnet et sa houppelande, insignes de dignité, sur les marches de l'autel. Le nouveau Loup s'en empare. La passation de pouvoir est ainsi faite. Pendant ce temps, derrière le chœur, les frères tirent des coups de pistolets. Puis, clergé en tête, la procession se remet en route vers un repas plus plantureux chez le Vieux Loup. Selon sa fortune, il gardera sa société plusieurs jours à table. On tire à nouveau. Une fois, le pistolet d'un frère éclate et lui arrache trois doigts. On arrêta de ce jour l'usage des armes à feu.
En 1824, le notaire de Jumièges, Charles-Antoine Deshayes, écrit à Hyacinthe Langlois: "Cette cérémonie s'est célébrée cette année avec toute la régularité possible et le futur loup a mérité les plus grands éloges par l'active libéralité qu'il a mise dans la distributions de ces coups de baguette au Loup-Vert et à ceux de sa troupe. Gare à lui pour l'année prochaine !"
La fin du siècle approchant, pour le repas maigre du soir, on substitua aux légumes des œufs et du poisson. Le rituel se vida de son sens. Et, privé de symboles plus ou moins compris, n'attira plus son monde. Quand on l'interrogeait, un ancien maître de la confrérie pensait que si sa robe était verte, c'est que celle de saint Jean l'était aussi sur le vitrail le représentant à l'église. Il n'en savait pas plus. En 1862, personne parmi les frères verts, ne voulut reprendre la charge de maître. Alors, en bons normands, on vendit la tunique et le bonnet. Mais la procession perdura. Non plus à pied, mais en voiture à cheval. Et l'on ne donna plus de coups de baguettes au cours de la soirée pour désigner le nouveau loup. La fête du lendemain n'attirait plus guère de monde. La confrérie de saint Valentin, vêtue de rouge, et celle de la Vierge, en blanc, y participaient toujours vers 1910. A cette époque, Pierre Paôn, l'instituteur, note qu'il n'existe plus que la procession et la flambée du soir. Les superstitieux emportent toujours quelques tisons.
En 1914, un grand maître de la confrérie n'alla pas jusqu'au bout de son exercice, car il mourut de sa belle mort, au Conihout. Avec cet enterrement, c'est toute une tradition qui disparaît. La confrérie de saint Jean a aussi chapelle, dite des Frères verts. La mort de la confrérie
Sept ans et une Grande guerre plus tard, le soir du 23 juin 1921, l'abbé Grout vint encore au Conihout pour bénir le brasier, chanter le Te Deum et partager les repas. La confrérie de comptait plus alors que quatre membres qui remirent ensuite leur démission au curé. Celui-ci tenta bien de sauver la confrérie. En vain. De juin, le rite du feu de la Saint Jean fut avancé à février et quitta le Conihout pour le fossé Piquet. La jeunesse y brûla encore, durant quelques années.
L'étonnante similitude entre le cérémonial normand et celui de Picardie est indéniable. Ce qui pourrait nous faire croire que les religieuses de Pavilly, fuyant les vikings, transportèrent le mythe de loup vert à Marconne dans les années 750. Puis à Montreuil un siècle plus tard. Restent les confréries. La picarde est attestée en l'an mil, la normande en 1350. Certains y voient à l'origine des confréries de tailleurs de pierre se saisissant d'une légende commune, le loup d'Austreberte, pour pratiquer leur rite en plein jour sous couvert de religion. D'autres y verront la réminiscence de rites païens christianisés. Bref, le secret du loup vert reste entier...
Laurent QUEVILLY.
Source : http://jumieges.free.fr/loup.htm
A noter que l’auteur donne toutes ses sources sur la page | |
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