La chasse Gallery (Poitou)

Le sire de Gallery, pour avoir chassé un cerf un dimanche pendant la grand-messe, fut condamné par un ermite - chez qui l’animal s’était réfugié - à chasser du crépuscule à l’aurore jusqu'à la fin des temps. Sa meute endiablée descend quelquefois sur terre et se repaît du corps des voyageurs qu’elle rencontre. Le campagnard prudent, quand il entend venir cette chasse, commande à ses fils de rentrer à la maison. Il les suit, les fait mettre à genoux et prie avec eux pour le repos de l'âme du damné.

Quelqu'un a raconté ce qui suit:
"Un soir, voilà longtemps de cela, en arrivant à Clazay, de la veillée, où, pour la centième fois, j'avais entendu raconter l'histoire de Gallery, il me fut donné d'assister à un spectacle singulier. Je longeais le grand mur qui, partant du bourg, aboutit à la fin des près. Il était dix heures, le temps était calme et doux.

"Je touchais presque à la coupure qui conduit à la fontaine quand, d'une distance indéterminable, j'entendis haleter des animaux lancés à une allure prodigieuse. C'était en hiver, le bruit de leurs pas, frappant la terre durcie, résonnait fortement. Je me dis: « Ce sont des chiens qui regagnent le logis. », et je m'étonnais qu'ils le regagnassent aussi vite.

"Je m'arrêtai, et j'aperçus, à cent pas de mois, à la clarté de la lune, débouchant du bourg, qu'ils avaient traversé sans un cri et sans un arrêt, deux animaux. En un viremain, ils me joignirent. Le premier, à ma hauteur, d'un bond de biais immense, s'engouffra vers la fontaine, les yeux brillants comme des chandelles, la langue pendante. Je reconnus un loup. Je le vis comme je vous vois, sans avoir le temps d'avoir peur, pendant que le second, un grand chien noir de ferme qui le talonnait, prenait le même chemin avec une énergie égale. A ma vue, sans ralentir son train d'enfer, il poussa un court aboiement comme pour me dire: "A l'aide !" Et, pendant quelques minutes, j'écoutais les halètements de plus en plus faibles des deux bêtes, en regrettant de n'avoir pas eu dans mes mains mon fusil pour tuer l'ennemi commun et satisfaire le bon serviteur. Le bruit de la chasse ardente s'éteignait dans le lointain, mais l'aboiement bref se répétait par intervalles. Tout à coup apparut, venant de la même direction que les précédents, un troisième animal, un loup encore, galopant avec une vitesse étourdissante sur la piste des devanciers. Je le détournai de sa route en criant furieusement: "Au loup ! Au loup !" Il monta la butte et disparut comme une ombre, cependant que tous les chiens des environs, réveillés à mon cri, hurlaient sinistrement à la mort. Mais le pauvre chien chasseur était pris entre les deux étaux de ses implacables ennemis. Qu'en est-il advenu ? J'entendis avant de rentrer chez moi son appel à l'homme, faible comme un soupir, à distance énorme. J'ai retardé son égorgement. Dieu veuille que je l'aie sauvé !"

Figurez-vous à la place de cet homme, un bon paysan sous l'impression des contes de la veillée. Il aurait pris les trois bêtes pour trois chiens écartés de la meute de Gallery, cherchant leur pâture humaine, un mécréant mûr pour la cueillette de l'enfer.