Une chauve-souris prédate des oiseaux migrateurs en plein volLa capacité d’un prédateur à utiliser des sources occasionnelles de nourriture peut lui procurer des avantages sélectifs considérables. Cette faculté adaptative vient d’être clairement mise en évidence chez la grande noctule (
Nyctalus lasiopterus), une chauve-souris capable de s’attaquer de manière opportuniste à de petits oiseaux en vol nocturne [1]. Cette chauve-souris rarissime en Europe et majoritairement inféodée au bassin méditerranéen, profiterait pour cela de l’abondance saisonnière des passereaux en migration au dessus de la péninsule ibérique au printemps et à l’automne.
La grande noctule (Nyctalus lasiopterus) photographiée par l’équipe d’Ana Popa-Lisseanu
Sous réserve de copyright des éditions PloS Cette découverte est liée aux travaux de la chercheuse Ana Popa-Lisseanu et de ses collègues suisses et espagnols, qui ont analysé des échantillons sanguins de grande noctule à différentes périodes de l’année. Pour ce suivi, ils se sont basés sur l’étude de la variation saisonnière d’isotopes stables de carbone et d’azote dans le sang du chiroptère et l’ont comparé à la signature isotopique des ses proies potentielles : insectes et oiseaux. Ils ont ainsi mis en évidence l’existence d’un régime essentiellement insectivore en été, mais incluant la prédation de passereaux pendant la période migratoire, au printemps et à l’automne. Il s’avèrerait également que la prédation d’oiseaux par la grande noctule augmente avec la quantité de passereaux en migration. Ainsi, sa consommation d’oiseaux apparaît beaucoup plus importante en automne, où les jeunes repartent avec les adultes, qu’au printemps où seuls reviennent les adultes ayant survécu à la migration précédente.
En 2001, la découverte inattendue de plumes dans le guano de ce chiroptère avait déjà permis à des chercheurs espagnols d’avancer l’hypothèse d’une prédation d’oiseaux chez la grande noctule [2]. Cependant, faute de preuve plus solide, cette supposition avait été largement controversée par d’autres scientifiques qui y voyaient plutôt là l’ingestion d’une plume par confusion avec un insecte, mais en aucun cas la prédation délibérée de passereaux.
Cette capacité à capturer en vol des passereaux migrateurs nocturnes apparaît non seulement unique chez les chiroptères mais également au niveau de l’ensemble du règne animal. En effet, si certaines chauves-souris tropicales sont également aptes à se nourrir de petits vertébrés, elles ne prédatent pas leurs proies en vol mais uniquement lorsque ces dernières sont sur un substrat. De plus, les rapaces connus pour capturer de petits passereaux en vol, sont essentiellement diurnes, car les rapaces nocturnes tels que les chouettes ou les hiboux qui se repèrent au bruit, capturent leurs proies au sol ou dans les arbres. La découverte de ce mode de prédation chez une chauve-souris est donc unique et souligne une fois de plus l’extraordinaire adaptabilité des chiroptères à leur environnement.
Brève proposée par A. Lerouxel
Source : http://www.spectrosciences.com/breve.php3?id_breve=266
Pour en savoir plus :
[1] Popa-Lisseanu AG, Delgado-Huertas A, Forero MG, Rodríguez A, Arlettaz R, et al. (2007) Bats’ Conquest of a Formidable Foraging Niche : The Myriads of Nocturnally Migrating Songbirds. PLoS ONE 2(2) : e205. doi:10.1371/journal.pone.0000205
[2] Ibáñez C, Juste J, García-Mudarra JL, Agirre-Mendi PT. (2001) Bat predation on nocturnally migrating birds. Proc Natl Acad Sci USA 98 : 9700-9702.