Lorsque j'ai lu pour la première fois
Les Chants de Maldoror, j'ai été frappée par son concentré de violence chaotique, par sa provocation explicite. Le poète se veut effectivement l'Ennemi du monde entier, à la fois de Dieu (l'image de Dieu ivrogne est assez sympa je trouve
) et du genre humain, dégradant tout et chaque chose, pervertissant l'innocence, la nature et la société. Pour se faire, il emprunte la figure d'une espèce de vampire polymorphe, qui va du Don Juan pervers et satanique, à la bestiole, en passant par la pédérastie, la nécrophilie... avec force ironie. D'après mes souvenirs de lecture (ouh-là, il sera temps que je m'y replonge) il me semble que
les Chants présentent tout un bestiaire vampirique assez intéressant, avec le rhinolophe (qui est une variété de chauve-souris), la sangsue, le poux, le poulpe, et l'araignée. On retrouve d'ailleurs ces animaux comme "instruments du vampirisme" chez différents auteurs du XIXe ; je pense par exemple à la fameuse description de la pieuvre dans
Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo, ou bien encore au nain Scarbo dans
Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand.
Ce qui est étonnant aussi, dans
Les Chants de Maldoror, c'est son style très libre qui ne laisse pas le lecteur indifférent. De nombreuses métaphores, des phrases d'une impressionnante longueur, des hyperboles, des exagérations... L'article dans le fanzine
Reflets d'Ombres parle d'une "folie furieuse contaminant les phrases" mais c'est tout à fait ça. On sent l'influence du genre frénétique (d'ailleurs certains critiques ont tendance à le ranger un peu vite dans cette catégorie à mon avis), avec le goût pour le macabre et le sanguinolent.
Mais
les Chants de Maldoror , c'est aussi une oeuvre souvent mal interprétée, un peu comme la célèbre "Charogne" de Baudelaire. Le vampirologue Jacques Finné, par exemple, porte sur elle un regard très condescendant. Il exclut délibérément Lautréamont de son "Aperçu de littérature vampirique" (in
Visages du Vampire de Barbara Sadoul) ; pour lui, Lautréamont ne fait que "citer stupidement le mot vampire" (grrr...
). Considérer
Les Chants de Maldoror comme le travail seul d'un adolescent perturbé, est de toute façon très réducteur et pas constructif pour un sou.
De mon côté, je me demande si l'image du vampire utilisée par Lautréamont n'est pas un moyen de montrer une révolte, non seulement contre l'absurdité et les horreurs de la société humaine (il serait alors la voix des classes marginales, à la conquête d'une liberté personnelle), mais aussi contre l'écriture poétique même. Le vampire de Maldoror, figure d'un idéal sombre et tourmenté, serait en ce sens l'expression criante de la liberté, -liberté humaine et liberté littéraire. Qu'en pensez-vous ?